Le prélèvement à la source sera-t-il une nouvelle catastrophe industrielle pour les entreprises? Oui, selon le syndicat FO de la DGFIP (direction des finances publiques de Bercy, qui collecte l’impôt), qui consacre un article passionnant à ce sujet dans sa dernière version. En voici quelques extraits.
Prélèvement à la source : une réforme pour rien ?
À partir de 1930, et compte tenu d’une montée en puissance de l’impôt sur le revenu, la question de son recouvrement généra des réflexions sur une éventuelle retenue à la source mais sur les seuls salaires.
Depuis cette époque, au motif que les Français ne seraient pas enclins à payer spontanément l’impôt, la question du prélèvement à la source n’a quasiment jamais cessé d’alimenter le débat public, c’est dire s’il s’agit d’une idée moderne et novatrice !
A titre de référence de modernité, le premier exemple connu de retenue à la source sur les salaires remonte à 1811 en Prusse. Les États-Unis mirent en place une telle retenue en 1862, pendant la Guerre de Sécession, pour l’abandonner 10 ans plus tard. Au début du XXe siècle, le Canada se lança à son tour dans cette méthode de collecte de l’impôt, suivi en 1925 par l’Allemagne. Les PaysBas, le Royaume-Uni, l’Australie et de nouveau les États-Unis la mirent en place pendant la Deuxième Guerre mondiale.
En France, à la même période, par décret du 10 novembre 1939 une retenue visant exclusivement les salaires et nommée : « stoppage à la source » est instaurée. Il s’agissait d’un impôt proportionnel sur la base d’un barème simplifié pour tenir compte des frais professionnels et charges de famille. Ce dispositif fut supprimé en 1948 et remplacé par une taxe sur les salaires de 5 % à la charge des entreprises. Elle fut abrogée par la Loi du 28 décembre 1959 qui créait l’impôt sur le revenu unifié et progressif dans la forme que nous connaissons aujourd’hui.
Cependant, dès le début des années 60, de nouvelles réflexions à propos d’une potentielle retenue à la source revinrent dans le débat public. Ainsi, en 1966, Michel Debré, alors Ministre des Finances, lançait une étude, puis installait une commission présidée par Jacques Chirac, alors secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances, afin de rendre des conclusions sur la retenue à la source.
Les évènements de 1968 mirent temporairement fin aux réflexions sur la retenue à la source
L’augmentation significative du nombre de contribuables (5,7 millions en 1960 et 10,5 millions en 1970) ainsi que la contestation de l’impôt sur le revenu par une partie de la population, les indépendants, les artisans et commerçants notamment, est sans doute largement à l’origine de ce projet.
Les évènements de 1968 mirent, temporairement, fin à cette série de réflexions et les accords de Grenelle prévoyaient explicitement en leur article 11 qu’il ne « serait pas proposé d’assujettir les salariés au régime de la retenue à la source ».
Pour autant, la volonté d’une partie de la classe politique comme de la haute fonction publique de mettre en place cette forme de collecte de l’impôt perdurait. Ainsi, un rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) revenait sur la question en 1971. À ce stade, il aboutit à la Loi du 29 juin 1971 instituant le paiement mensuel de l’impôt sur le revenu. En 1973, un amendement gouvernemental, déposé lors de la discussion du PLF 1974, réitérait la proposition de retenue à la source au motif, selon Valéry Giscard d’Estaing alors Ministre des Finances, d’une nécessaire modernisation et de simplification pour le contribuable (déjà). L’amendement adopté en première lecture fut finalement abandonné, certains députés craignant une rupture du lien citoyen et une montée incontrôlable des revendications salariales.
Nous le voyons, les arguments des « pour » et des « contre » ne sont pas nouveaux, loin s’en faut. Ce petit rappel historique pourrait prêter à sourire si la situation des services des Finances Publiques n’était pas si grave, mais nous y reviendrons.
De nouveau, à partir de 1990, la modernisation, l’informatisation de l’administration fiscale et l’exemple dit « moderne » de prélèvement à la source constitué par la Contribution Sociale Généralisée (CSG) ramenèrent la question de la retenue à la source sur le devant de la scène.
Plusieurs rapports : un nouveau de l’IGF en 1998, puis le rapport Lépine en 1999, ensuite celui paru en 2000 de la « Mission 2003 » de triste mémoire à la DGFiP, démontraient la nécessité de créer la retenue à la source. Il n’y a pas été donné suite.
Début 2007, le ministre Thierry Breton commandait un nouveau rapport qui mettait à jour le problème posé par la nécessaire divulgation d’informations concernant le salarié à l’employeur. Le débat en est resté là jusqu’en début 2012 où le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) publie un rapport dont la teneur insiste davantage sur les progrès accomplis par l’administration en termes de simplification, de modernisation (déclaration pré-remplie, mensualisation, prélèvement à l’échéance, etc…) et qui conclut sur l’absence d’urgence à mettre en place cette réforme de la collecte.
Ceci n’empêche pas, lors de la campagne présidentielle de 2012, le candidat Hollande de mettre dans son programme électoral la fusion de la CSG et de l’IR. (…)
Des modalités différentes selon les catégories socio-professionnelles remettent en cause l’égalité républicaine devant l’impôt
En effet, la plupart des salariés feront l’avance de la déduction pour frais professionnels ce qui ne sera pas le cas des autres professions. Là encore, ce n’est pas le moyen le plus efficace pour restaurer le consentement à l’impôt.
Au-delà des complications pour les contribuables, cette réforme de la collecte de l’impôt aura également des conséquences sur les services de la DGFiP, mais pas obligatoirement celles que les tenants du toujours moins d’État cherchent à démontrer.
Contrairement en effet à ce qu’affirment certains « think tank» aux analyses ultralibérales, la gestion ne sera pas plus simple pour les personnels de la DGFiP. Pour le Syndicat, il ne pourra en résulter le nombre de suppressions d’emplois plus que fantaisistes qu’ont pu annoncer certains médias.
Actuellement, le recouvrement de l’impôt dans sa phase amiable a atteint un tel niveau d’automatisation qu’il est assuré par un petit nombre d’agents. L’essentiel des effectifs affectés au recouvrement se consacre à la phase contentieuse, laquelle ne disparaîtra pas avec le prélèvement à la source.
Il en découlera, en outre, une désorganisation des services par un transfert de charges des Services d’Impôt des Particuliers (SIP) vers les Services d’Impôt des Entreprises (SIE) sans que, pour autant, de véritables gains de productivité puissent être enregistrés. Au contraire, l’appropriation du système générera un surcroît de travail que la politique aveugle de suppression d’emplois (1815 ETPT supplémentaires en 2017) ne permettra pas d’absorber. D’ores et déjà, la DGFiP n’est plus en capacité d’exercer correctement cette mission. (…)
Deux interlocuteurs pour le contribuable au lieu d’un
Cette réforme induira inévitablement deux interlocuteurs pour le contribuable; son employeur en tant que tiers collecteur et la DGFiP en qualité de gestionnaire de l’imposition dès lors que le contribuable souhaitera modifier son prélèvement par exemple ou en matière de régularisation. La seule certitude, à ce stade, c’est que c’est assurément vers la DGFiP que se tourneront les contribuables mécontents en cas d’erreur, y compris du service comptable de l’employeur.
Enfin, et c’est une question essentielle, le risque de perte de recettes fiscales pour l’État est réel en cas de défaillance des entreprises ou de non application du PAS par les entreprises. Les sanctions envisagées dans le projet de texte, si elles ont le mérite de poser le sujet, ne rendront en effet l’exercice des poursuites ni plus facile ni plus efficace.
Pour synthétiser la position du Syndicat Force Ouvrière des Finances Publiques, cette réforme ne s’imposait pas, nous dirions même que, compte tenu du niveau actuel d’automatisation du recouvrement de l’impôt et du taux de recouvrement, elle n’a pas de sens.
La vraie simplification pourrait être de rendre la mensualisation obligatoire, encore qu il soit permis de s’interroger sur un tel besoin pour la trésorerie de l’État, compte tenu encore du taux de recouvrement actuel.
Les chiffres connus au 30 juin 2016 sont à eux seuls plus parlants que tous les arguments sur l’inutilité de cette réforme.
En février 2012, dans la conclusion générale de son rapport retenue à la source et impôt sur le revenu, le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) écrivait : « En effet, beaucoup des arguments historiquement avancés en faveur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ont perdu de leur force, soit du fait du changement de contexte économique – c’est le cas du gain de trésorerie et du gain budgétaire à attendre de l’avancement d’un an de la base d’imposition- soit grâce aux nombreuses réformes engagées par l’administration fiscale depuis 15 ans.
Ainsi, la simplification des démarches que la retenue à la source pourrait apporter aux contribuables est devenue limitée depuis que la déclaration pré- remplie a été généralisée à la quasi totalité d’entre eux (en 2006) et que les moyens de paiement dématérialisés ont été étendus très largement (plus de 80% des contribuables faisant désormais l’objet d’un prélèvement automatique par exemple) alors que la retenue à la source ne les dispenserait sans doute pas de procéder à une régulation de leur solde en N+1. de même, le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu se situe désormais à un niveau très élevé – plus de 99 % à la clôture de l’exercice : le prélèvement à la source apporterait principalement un encaissement plus rapide des sommes actuellement recouvrées lors de la phase amiable, l’enjeu budgétaire étant peu significatif.
Enfin, la progression des recoupements informatisés et des moyens de paiement dématérialisés a permis à l’administration de réaliser d’importants gains de productivité depuis 10 ans. Dans ces conditions, les économies de gestion que la retenue à la source pourrait apporter sont devenues faibles. (…)